09/07/2025
Chikungunya : l’épidémie invisible
Santé Publique et Médecine Sociale Infectiologie
Un vaccin dans l’ombre d’un virus oublié
Avec l’homologation récente des vaccins IXCHIQ (Valneva) et VIMKUNYA (Bavarian Nordic), une nouvelle ère s’ouvre dans la lutte contre le virus chikungunya (CHIKV). Pourtant, l’ampleur réelle de son impact mondial reste mal connue, compliquant les décisions sur la stratégie vaccinale. Cette étude de modélisation d’envergure internationale évalue la circulation du virus dans 180 pays et simule l’efficacité de différentes campagnes de vaccination.
Plus de 100 pays touchés… mais qui regarde vraiment ?
En croisant les données de séroprévalence, les signalements de cas et la distribution des moustiques vecteurs (Aedes aegypti et Aedes albopictus), les auteurs montrent que le CHIKV a circulé dans 104 pays, exposant 2,8 milliards de personnes. Seuls six pays, dont l’Inde et le Brésil, présentent une transmission endémique. Quatre-vingt-dix-huit autres pays subissent des épidémies sporadiques, souvent méconnues ou non diagnostiquées. Dans 76 pays, aucune transmission n’a été confirmée, généralement en raison d’une surveillance insuffisante ou d’un risque vectoriel limité.
Le Chikungunya frappe, disparaît… puis revient : la ruse épidémique
Dans les zones épidémiques, une flambée survient en moyenne tous les 6,2 ans, infectant 8,4 % de la population sensible. Les régions endémiques connaissent une transmission continue, avec un taux d’infection annuel moyen de 2,4 %. Grâce à 49 ensembles de données sérologiques issues de 29 pays, l’équipe estime à 35,3 millions le nombre annuel d’infections, dont 9,1 millions en Inde.
Chaque année, le CHIKV serait responsable de :
- 17,7 millions de cas symptomatiques
- 848 000 cas chroniques douloureux
- 3 700 décès
- 121 000 (DALYs : Disability-Adjusted Life Years ou années de vie ajustées sur l’incapacité en français, est une mesure en santé publique pour quantifier le fardeau global d’une maladie)
Un vaccin, oui. Mais pour qui, quand et comment
C’est toute la question. En se basant sur une efficacité vaccinale hypothétique de 70 % contre la maladie et 40 % contre l’infection, deux stratégies ont été modélisées :
- Vaccination de routine dans les pays endémiques (≥ 12 ans).
- Vaccination réactive par stock stratégique dans les pays épidémiques.
Avec 50 % de couverture vaccinale, 132 millions de doses seraient nécessaires par an, concentrées en grande partie en Inde et au Brésil. Les résultats simulés montrent une prévention annuelle de :
- 5,8 millions d’infections
- 168 000 cas chroniques
- 450 décès
- 22 900 DALYs
Par 100 000 doses utilisées, on éviterait 4 400 infections, 2 700 cas et 0,35 décès, avec 17 DALYs gagnés. L’impact est plus marqué dans les contextes épidémiques.
Un vaccin prometteur, des certitudes fragiles
Les résultats dépendent fortement de plusieurs paramètres : efficacité vaccinale, durée de protection, délai de détection des épidémies et vitesse de déploiement. Une hypothèse optimiste à 90 % d’efficacité doublerait les bénéfices du vaccin.
Les données réelles manquent encore, car l’autorisation d’IXCHIQ repose sur un corrélat immunologique de protection et non sur des essais de phase 3. Des effets indésirables, comme l’arthralgie légère (18 % des receveurs) ou sévère (0,3 %), n’ont pas été intégrés dans les calculs de DALYs.
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Stratégies vaccinales : entre prévention et réponse rapide
Les campagnes réactives à partir de stockpiles constituent une alternative prometteuse pour les pays non endémiques. Toutefois, leur efficacité dépend de la rapidité de détection des flambées, souvent freinée par le manque de tests de confirmation et la confusion clinique avec la dengue ou la grippe.
Dans les régions fortement touchées (Inde, Brésil), l’intégration dans les calendriers vaccinaux reste la solution la plus efficace.
Changements climatiques et mobilité : aggravation du risque
Le réchauffement climatique étend les zones de présence des moustiques Aedes, allongeant les saisons de transmission. La mobilité accrue accentue les introductions virales dans de nouveaux territoires, augmentant la fréquence des épidémies.
Cette étude marque un tournant : pour la première fois, le fardeau mondial du chikungunya est quantifié avec précision. Elle ne laisse plus place au doute : une stratégie vaccinale ciblée, réactive et guidée par la donnée pourrait transformer la lutte contre ce virus oublié. Reste à activer cette feuille de route. Car disposer du vaccin sans savoir quand ni où l’administrer, c’est laisser le moustique garder une longueur d’avance.
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Source(s) :
Ribeiro dos Santos G. et al. Nature Medicine, 2025 ;

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