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23/07/2025

Reprogrammer la graisse pour affamer la tumeur ?

Oncologie

Par Lila Rouland | Publié le 23 juillet 2025|3 min de lecture


#Cancer #Adipocytes #MétabolismeTumoral #ThérapieInnovante



Les cellules cancéreuses se développent dans un microenvironnement pauvre en oxygène et en nutriments. Pour survivre, elles reprogramment leur métabolisme afin d’absorber plus efficacement le glucose (glycolyse aérobie, ou effet Warburg) et les acides gras (oxydation des acides gras, ou FAO), ce qui leur permet de proliférer rapidement.

Les auteurs proposent une stratégie innovante, la transplantation de tissu adipeux manipulé (AMT) : créer une “concurrence métabolique” dans le microenvironnement tumoral. Autrement dit, pousser les adipocytes à consommer le glucose et les lipides à une vitesse telle que la tumeur n’y a plus accès. Et les résultats, publiés dans Nature Biotechnology, sont impressionnants.


Des adipocytes transformés en brûleurs d’énergie


Dans cette étude, les chercheurs ont génétiquement reprogrammé des adipocytes humains à l’aide d’une technologie CRISPRa. Objectif : activer des gènes clés de la graisse brune (UCP1, PRDM16, PPARGC1A), connue pour sa forte dépense énergétique.

Résultat ? Ces cellules montrent une augmentation spectaculaire de la consommation d’oxygène, du glucose et des acides gras, un vrai “mode turbo” métabolique. Injectées ensuite à proximité de tumeurs chez la souris, elles provoquent un effet radical : les cancers grossissent moins, consomment moins de sucre, produisent moins de vaisseaux et montrent même des signes d’apoptose.


In vitro : une chute de la prolifération tumorale


Dans un premier temps, ces adipocytes « bruns » ont été co-cultivés avec 5 types de cellules cancéreuses humaines (sein, côlon, pancréas, prostate). En 3 jours :

  • Une réduction de 3 à 5 fois du nombre de cellules tumorales.
  • Une baisse de l’expression de MKI67 (marqueur de prolifération).
  • Une diminution de la glycolyse (ECAR, GLUT4, GCK) et de la FAO (OCR, CD36, CPT1B).


Les adipocytes CRISPRa, notamment UCP1, ont surpassé l’efficacité des traitements métaboliques classiques comme la 6-aminonicotinamide (glycolyse) ou l’étomoxir (FAO).


In vivo : des tumeurs réduites de moitié


Chez la souris, l’implantation d’organoïdes adipeux modifiés juste à côté de xénogreffes tumorales a permis de réduire le volume tumoral de plus de 50 % en 3 semaines. Toutes les tumeurs traitées présentent :

  • Une baisse de l’hypoxie (CA9), de l’angiogenèse (CD31) et une augmentation de caspase-3, marqueur d’apoptose.

Des analyses montrent aussi une réduction globale du glucose et des lipides dans les tumeurs. Comme si la tumeur, tout simplement, n’arrivait plus à se nourrir.


Un mécanisme basé sur la compétition nutritionnelle


Les analyses ont montré que les organoïdes adipeux UCP1-CRISPRa présentaient :

  • Des taux élevés de glucose et d'acides gras,
  • Tandis que les tumeurs associées présentaient une déplétion de glucose et de métabolites glycolytiques (G6P, F6P, etc.).

Lorsque les souris recevaient un régime riche en graisses ou en sucre, l'effet antitumoral des adipocytes CRISPRa disparaissait, confirmant l’importance de la compétition pour les nutriments.

Les analyses transcriptomiques (RNA-seq) ont révélé chez les tumeurs traitées avec les adipocytes CRISPRa (sous régime normal) :

  • 7 102 gènes différentiellement exprimés, dont 6 623 régulés à la baisse (ex. MKI67, FASN, SCD, CPT1B) et 479 à la hausse (ex. HOXD10, GAS7).
  • Répression des voies liées à la croissance cellulaire, FAO, division cellulaire
  • Activation des voies liées à l’apoptose et au stress cellulaire.réprimées, des voies d’apoptose activées. L’effet est systémique et profond.


Efficace aussi sur des modèles génétiques de cancer


Les chercheurs ont confirmé ces résultats dans deux modèles murins très utilisés :

  • Le modèle KPC de cancer pancréatique,
  • Le modèle MMTV-PyMT de cancer du sein.

Dans les deux cas, l’implantation d’organoïdes adipeux CRISPRa réduit la masse tumorale, indépendamment de l’emplacement de l’implant. Les effets sont durables, sans perte de poids ni toxicité apparente.


Et chez l’humain ? Des tests prometteurs sur tissus mammaires

 
L’équipe a poussé l’expérience plus loin en utilisant des adipocytes humains isolés de tissus mammaires qui ont été reprogrammés avec UCP1-CRISPRa, puis co-cultivés avec des organoïdes tumoraux de patientes (sein, triple-négatif ou HR+). Résultats :

  • Réduction significative de la taille et du nombre des organoïdes tumoraux
  • Baisse de l’expression de MKI67, GLUT4, GCK, CD36, CPT1B   
  • Effets observés sur 5 cas cliniques différents  


Une nouvelle arme métabolique contre le cancer


Cette étude démontre que des adipocytes humains génétiquement modifiés peuvent ralentir la progression tumorale en privant les cellules cancéreuses de nutriments essentiels. Ce traitement :

  • Est personnalisable (e.g., activation de UPP1 pour cibler les cancers dépendants de l’uridine).
  • Repose sur des cellules autologues (prélevées chez le patient).
  • Peut être réversible et contrôlé à distance (via tétracycline ou plateformes biomatériaux).

Des travaux futurs viseront à valider cette approche chez l’homme et à étendre son utilisation à d’autres types de cancers et cibles métaboliques.   

Read next: Lipides et cancer du sein : la reprogrammation métabolique dans le viseur thérapeutique




About the Author – Lila Rouland
Doctor of Oncology, specialized in Biotechnology and Marketing


With dual expertise in science and marketing, Lila brings her knowledge to the service of healthcare innovation. After five years in international academic research, she transitioned into medical and scientific communication within the pharmaceutical industry. Now working as a medical writer and content developer, she is committed to highlighting scientific knowledge and conveying it to healthcare professionals with clarity and relevance.




Source(s) :
Nguyen H. P. et al. (2024). Implantation of engineered adipocytes suppresses tumor progression in cancer models, Nature Biotechnology. ;

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