05/06/2025
Tabac : Une dépendance plus profonde qu’il n’y paraît
Pharmacologie et Toxicologie Addictologie
Le tabac reste l’un des plus grands fléaux sanitaires contemporains, responsable de plus de 8 millions de décès chaque année. Malgré une meilleure connaissance des dangers du tabagisme, l’addiction à la nicotine s’avère tenace. Ce phénomène s’explique en partie par le rôle puissant de la nicotine dans la stimulation du système de récompense. Mais au-delà de ces effets immédiats, des recherches récentes révèlent une action bien plus durable.
La nicotine modifie l’expression des gènes impliqués dans l’apprentissage et la mémoire, via des mécanismes épigénétiques. Cette reprogrammation durable contribue à l’ancrage profond de la dépendance.
1. Nicotine et plasticité cérébrale : un terrain fertile pour l’empreinte épigénétique
La nicotine agit principalement sur les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (nAChR), présents dans les zones cérébrales impliquées dans la mémoire et le plaisir : hippocampe, cortex préfrontal, aire tegmentale ventrale. Cette activation déclenche une série de processus biologiques qui facilitent l’enregistrement de souvenirs liés à la consommation de tabac.
2. L’acétylation des histones : ouvrir l’accès aux gènes de la dépendance
L’un des effets les mieux documentés de la nicotine est l’augmentation de l’acétylation des histones, notamment H3 et H4. Cette modification « ouvre » la chromatine, rendant plus accessibles des gènes clés tels que FosB, BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) et DRD1 (récepteur de la dopamine D1), tous associés à la récompense, à l’apprentissage et à la consolidation de la mémoire.
3. Une levée des freins : la déméthylation des histones
Parallèlement, la nicotine diminue certaines marques de méthylation répressive comme H3K9me2 et H3K27me3, en particulier dans les promoteurs des gènes BDNF et CDK5. Résultat : une augmentation de leur expression, favorisant la formation de souvenirs durables liés à la consommation, et contribuant à la rechute même après une période d’abstinence prolongée.
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4. La signature de la nicotine sur l’ADN
La nicotine agit aussi sur la méthylation de l’ADN, une autre forme de régulation épigénétique. Chez les fumeurs, on observe une hypométhylation de plusieurs gènes, notamment ceux codant les récepteurs nicotiniques CHRNA3, CHRNA5 et CHRNB4, favorisant ainsi la sensibilité à la nicotine et la vulnérabilité à l’addiction. Ces modifications pourraient constituer un mécanisme d’« amorçage » épigénétique.
5. Les ARN non codants : les chefs d’orchestre silencieux
Enfin, la nicotine module l’expression de nombreux microARN (miARN) et ARN longs non codants (lncARN), qui jouent un rôle central dans la régulation post-transcriptionnelle. Le miR-221, par exemple, amplifie la sensibilité comportementale à la nicotine, tandis que le lncARN antisens de BDNF est impliqué dans la consolidation et le maintien de la dépendance.
Vers une mémoire épigénétique de la dépendance
La dépendance au tabac ne repose pas uniquement sur des effets passagers. La nicotine induit des changements profonds et durables dans l’expression des gènes liés à la mémoire et à la récompense. Ces modifications épigénétiques – acétylation des histones, déméthylation, régulation des ARN non codants – participent à inscrire la dépendance dans la biologie même du cerveau. Comprendre ces mécanismes ouvre des perspectives thérapeutiques prometteuses : cibler l’épigénome pour effacer la trace laissée par la nicotine et favoriser une désintoxication durable.
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