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23/06/2025

Ferroptose : activer le fer pour vaincre les cancers résistants ?

Hématologie Oncologie Biologie Médicale

#Ferroptose #CancerRésistant #FerLysosomal #CD44 #Pancréas #Sarcome


Les tumeurs solides agressives, comme le cancer du pancréas ou certains sarcomes, présentent une capacité remarquable à échapper aux traitements. Ces cancers hébergent souvent une fraction de cellules dites « tolérantes aux traitements », ou drug-tolerant persister cells (DTP), capables de survivre aux thérapies conventionnelles. Une équipe franco-internationale a récemment mis en lumière une vulnérabilité insoupçonnée : leur dépendance au fer, plus précisément celui stocké dans les lysosomes.


L’étude de l’équipe de Raphaël Rodriguez, parue dans Nature en juin 2025, révèle que l’activation ciblée du fer lysosomal déclenche la ferroptose, une mort cellulaire liée à la peroxydation des lipides. Leurs travaux ouvrent la voie à une nouvelle stratégie thérapeutique, fondée non sur la génétique de la tumeur, mais sur son état cellulaire et son métabolisme du fer.



Une mort cellulaire exploitée à des fins thérapeutiques


La ferroptose repose sur un mécanisme bien distinct de l’apoptose. Elle résulte de l’accumulation incontrôlée de lipides oxydés au sein des membranes cellulaires. Or, le fer est un puissant catalyseur de cette réaction en chaîne. Dans le contexte tumoral, certaines cellules accumulent du fer dans leurs lysosomes, organites impliqués dans la dégradation cellulaire, ce qui les rend paradoxalement vulnérables à l’oxydation.

Les auteurs montrent que le composé liproxstatin-1, un inhibiteur de la ferroptose, agit en neutralisant le fer dans les lysosomes. Inversement, leur molécule conçue sur mesure, Fentomycine-1 (Fento-1), réactive ce fer et initie la dégradation oxydative des phospholipides, provoquant la mort des cellules cancéreuses ciblées.


CD44 et fer : duo toxique pour les cellules cancéreuses


L’un des points forts de l’étude est l’identification d’une sous-population tumorale particulièrement sensible : les cellules CD44high. Ce marqueur de surface, associé aux cellules souches cancéreuses et aux états mésenchymateux, favorise l’endocytose du fer. Résultat : ces cellules accumulent une forme redox-active de fer dans leurs lysosomes, ce qui les rend hautement vulnérables à l’induction de ferroptose par Fento-1.


Dans des échantillons humains de cancers du pancréas et de sarcomes, Fento-1 a réduit de manière sélective les populations CD44high, y compris après exposition à des chimiothérapies standards. Les cellules résiduelles adoptent alors un phénotype plus épithélial, moins riche en fer, et donc plus résistantes à la ferroptose, illustrant une plasticité cellulaire adaptative.



Résultats précliniques impressionnants


  • In vitro : Fento-1 induit une oxydation massive des phospholipides membranaires dans plusieurs lignées cancéreuses humaines (PDAC, sarcomes, sein triple-négatif), avec une efficacité jusqu’à 2 à 3 fois supérieure à celle des inducteurs classiques de ferroptose comme RSL3 ou erastine. Dans les cellules HT-1080, Fento-1 entraîne une accumulation rapide de 4-HNE (un marqueur de peroxydation lipidique) et une augmentation significative des lysophospholipides (×2 à ×5 selon les espèces), dès 24 h après traitement.
  • Ex vivo : Sur des cellules tumorales humaines fraîchement dissociées de 13 patients atteints de cancer du pancréas ou de sarcome, Fento-1 réduit de près de 50 % la population CD44high en 24 h (p < 0,01). Cette diminution s’accompagne d’une augmentation significative des lipides oxydés (phosphatidylcholines oxydées : PCOx36:2, PCOx38:4 etc.) en moyenne ×2,5 par rapport au contrôle, effet annulé par la co-administration de liproxstatin-1 ou α-tocophérol.
  • In vivo : Dans un modèle murin de cancer du sein triple-négatif métastatique (4T1), l’administration intralymphatique de Fento-1 (3 µg tous les 2 jours pendant 15 jours) a permis une réduction de plus de 60 % du volume tumoral ganglionnaire à J10 (p = 1,7 × 10⁻⁶), et une augmentation significative de la survie (médiane prolongée de 20 à 28 jours, p = 0,029). La proportion de cellules CD44high passe de ~50 % à moins de 15 % (p < 0,01), sans altération du poids des animaux, suggérant une bonne tolérance.


Changer le paradigme : viser le fer, pas le génome


L’étude propose un changement de paradigme dans la lutte contre les cancers résistants. Plutôt que cibler une mutation oncogénique, il s’agit d’exploiter un état métabolique transitoire, ici, une surcharge en fer lysosomal. Ce profil cellulaire est associé à un état mésenchymateux, une plasticité accrue et une capacité à fuir les traitements cytotoxiques traditionnels.

Fento-1 pourrait donc servir à éradiquer les drug-tolerant persister cells (DTP) avant qu’elles ne réémergent, ou à renforcer l’efficacité d’un traitement de fond. Les auteurs envisagent également d’utiliser CD44 ou la charge en fer comme biomarqueurs pour guider l’utilisation de ce type de composés dans une approche de médecine de précision.


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Une voie thérapeutique prometteuse mais à encadrer


Si les résultats sont prometteurs, plusieurs défis subsistent. L’effet de Fento-1 sur les tissus non tumoraux riches en fer reste à explorer. De plus, l’adaptation des cellules à un stress ferroptotique suggère qu’un usage intermittent ou en combinaison sera nécessaire pour éviter les échappements. Enfin, une meilleure compréhension des états cellulaires favorisant la ferroptose (mésenchymateux, CD44high, stress oxydatif élevé) sera cruciale pour optimiser cette approche.


En conclusion, cette étude positionne le fer lysosomal comme un levier thérapeutique inédit pour cibler les cancers solides résistants. Fento-1 agit à la frontière de la biologie redox et de la pharmacologie ciblée, en exploitant une faiblesse métabolique intrinsèque. Reste à traduire ce concept en clinique, en identifiant les bonnes cibles, les bonnes fenêtres d’action, et les associations thérapeutiques les plus efficaces.

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Source(s) :
Cañeque, T. et al. Activation of lysosomal iron triggers ferroptosis in cancer. Nature, 12 juin 2025. ;

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